Des compositions colorées énigmatiques

Les œuvres de Suzan Frecon participent autant de la rationalité que de l'intuition. Ses compositions sont fondées sur des formes et des proportions définies, non pas à la règle et au compas, mais de façon purement visuelle. Frecon conçoit son œuvre picturale comme un tout. Les aquarelles relèvent donc des mêmes principes que les peintures : elles trouvent leur fondement dans la couleur, la forme, le matériau , etc. mais portent en plus les traces de l'irrégularité constitutive d'un papier le plus souvent artisanal.

La peinture comme « forme supérieure de la connaissance »
Comme élément fondateur et jouant le rôle de catalyseur, la couleur nourrit, en lien avec d'autres agents plastiquement déterminants, l'expérience du spectateur. Suzan Frecon pense qu'une connaissance difficilement saisissable est inhérente à la peinture et à l'art en général, du moins dans ses formes les plus réussies, et que cette connaissance reste hors d'atteinte pour le spectateur. L'asymétrie est une composante essentielle de l'organisation des œuvres. Lorsque l'on contemple longuement une peinture, c'est cette asymétrie qui fait bouger, c'est-à-dire qui fait tour à tour avancer et reculer les différents plans de l'image, le premier plan comme l'arrière-plan, mais aussi les constituants de l'image que sont les couleurs et les formes. Cette dynamique est renforcée par la modulation des couleurs et le choix des supports. De fines toiles et de vieux papiers indiens sont propres à diversifier les phénomènes d'absorption des couleurs dont les modes d'assemblage sont eux-mêmes très divers. A la surface du tableau, des variations se déploient qui vont du mat au brillant, ou du réfléchissant à l'absorbant, et réagissent aux effets changeants de la lumière. Car la lumière revêt une importance majeure dans les tableaux de Frecon.

Une abstraction chargée d'allusions
Les peintures de Frecon ne sont pas construites à partir des principes créatifs de l'abstraction. Bien que la peinture de Suzan Frecon ne fasse pas directement référence au réel, les œuvres appellent de nombreuses associations. Les couleurs utilisées rappellent notamment des peintures historiques. Les tons de terre rougeâtres rappellent les peintures rupestres de Lascaux, le bleu lapis lazuli et la couleur or, l'art de la Pré-Renaissance. Les titres des tableaux reflètent également cette ambivalence d'une non référentialité associée à une pratique abondante de l'allusion. Ces titres sont en effet à peine compréhensibles : « just beyond one's reach » (quasiment hors d'atteinte), pour reprendre les termes de Frecon. La combinaison lexicale « purple forbidden enclosure » (2005) est en soi tout aussi abstraite que le tableau mais elle lui confère en tant que titre des dimensions supplémentaires. Sans rien expliquer, sans imposer une lecture objectivante, le titre donne une plus grande densité au mystère des couleurs et des formes.

Un panorama des créations picturales
L'exposition a été conçue avec l'artiste et est une coproduction du Musée des Beaux-Arts de Berne et de la Menil Collection de Houston. Josef Helfenstein, qui dirige depuis 2003 la Menil Collection et fut jusqu'en 2000 directeur-adjoint du Musée des Beaux-Arts de Berne, avait montré des travaux sur papier de Suzan Frecon dans des expositions collectives organisées à Berne en 1990 et en 1994. L'exposition actuelle propose un panorama des créations picturales de Suzan Frecon des dix dernières années.

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