Ouvert jusqu'à 21h le mardi

Expositions 30.01.2007 – 06.05.2007

Manet est invité à la collection «La maîtresse de Baudelaire couchée»

Nos Tournesols sont actuellement de passage au Musée Szépmûvészeti - le Musée des Beaux-Arts de Budapest qui fête cette année son centième anniversaire avec une grande exposition van Gogh. Ce musée accueillera aussi la grande exposition Ferdinand-Hodler, actuellement en préparation pour l'année 2008. En signe de notre collaboration collégiale, le Musée Szépmûvészeti offre au Musée des Beaux-Arts de Berne l'occasion d'héberger une œuvre majeure de sa collection: l'oeuvre La maîtresse de Baudelaire couchée, 1862 d'Edouard Manet.

Il s'agit du portrait de Jeanne Duval qui fut longtemps la maîtresse de Charles Baudelaire (1821-1867). On sait peu de choses de cette mulâtresse, actrice de second plan sur la rive gauche de la Seine. Baudelaire avait fait la connaissance de Duval en 1842 - ce fut le début d'une liaison tumultueuse qui dura presque toute leur vie. Bien qu'ils se soient à nouveau séparés en 1856, Baudelaire s'occupa de façon touchante de sa "Vénus noire", après qu'elle eut été victime en 1859 d'une attaque cérébrale. Ils vécurent à nouveau ensemble de 1860 à 1861. Dans le recueil Les Fleurs du Mal, paru en 1857 et complété plus tard par des poèmes annexes, Baudelaire a dédié tout un cycle de poésies à sa muse créole.

Lorsque Edouard Manet (1832-1883), alors âgé de trente ans, la peignit, Jeanne Duval était déjà malade et - on peut le voir à la posture rigide de sa jambe - en partie paralysée. Dans une lettre qu'il écrivit à sa mère le 11 octobre 1860, Baudelaire l'évoque par ces mots "vieille beauté transformée en infirme". Le portrait que fait Manet d'elle n'est effectivement pas flatteur du tout: elle est campée sur un canapé vert, la tête légèrement inclinée et la main droite, démesurément grande, repose dans un geste un peu maladroit sur l'accoudoir. Les traits du visage, à peine esquissés, reflètent une impression de dureté, les yeux sont assombris.

Le visage qui semble petit ne joue cependant pas le premier rôle dans ce portrait. Le tableau est plutôt dominé par la robe blanche à crinoline gonflante et opulente dont les cascades d'étoffe font écho au balancement des rideaux de dentelle aérienne dans l'embrasure de la fenêtre de l'atelier de l'époque, situé Rue Guyot. La facture libre, impressionniste annonce déjà le style du Manet des années soixante dix.  La maîtresse de Baudelaire couchée est donc la première tentative de cette "peinture en blanc" qui deviendra plus tard une des spécificités de l'artiste et c'est en même temps la première fois qu'on rencontre dans son œuvre le sujet de la femme étendue sur un canapé ou sur un lit, dans une robe élégante et à la mode, un genre bien apprécié par la suite, repris même par ses collègues - Berthe Morisot, Pierre-Auguste Renoir et Claude Monet - et décliné dans de nombreuses variations. Le portrait de la courtisane Olympia (Musée d'Orsay, Paris), qu'il peignit l'année suivante, est le véritable pendant aux bourgeoises vêtues de blanc. Cette toile dont nous ne montrons ici que la version gravée devait faire scandale au salon de 1865.

Manet et Baudelaire avaient fait connaissance aux alentours de 1858 et s'étaient rapidement liés d'amitié bien que le poète se soit montré quelque peu réticent devant l'art du peintre Manet, de onze ans son cadet. La même année, en 1862, dans sa grande toile Musique aux Tuileries (National Gallery, Londres), il fit le portrait de Beaudelaire, promeneur parmi la société parisienne colorée. Le profil caractéristique du poète qu'on distingue sur le tableau servit plus tard à Manet de modèle pour la gravure délicatement esquissée Baudelaire en chapeau, de profil, dont nous exposons aussi un exemplaire provenant du cabinet d'estampes.